Jon Fairest – Sanofi : "Nous voulons devenir premier sur le continent"
- Aurélie Benoit
- 17 nov. 2019
- 5 min de lecture
Accès aux soins, dépistage, formation… Jon Fairest, directeur général de Sanofi pour l’Afrique, livre la stratégie qui a permis au géant pharmaceutique de faire des pays émergents l’un de ses principaux leviers de croissance.
Comment Sanofi fait face au changement épidémiologique sur le continent?
Historiquement, le continent a été confronté aux maladies transmissibles type VIH ou malaria, encore existantes aujourd’hui mais qui sont mieux gérées par les gouvernements et les organisations internationales. Or, le schéma épidémique actuel s’est complexifié et inclut maintenant les NCD - Non communicable diseases-, comme le diabète ou l’hypertension. Et il y a là un réel retard : par exemple, l’Afrique ne compte que 2% des médecins du monde et représente 25% du fardeau de ces maladies. Nous devons renforcer la formation et les infrastructures tant du côté des diagnostics que des soins.
En cela, la collaboration avec les autorités est indispensable, il faut accélérer les Partenariats Publics Privés (PPP) entre les industries de santé, les partenaires publics et les acteurs digitaux. Début juillet, Sanofi a signé une convention dans ce sens au Maroc au sujet des maladies rares qui est un véritable problème avec une personne sur 20 concernée. Nous accompagnons les autorités qui se veulent à la pointe dans le domaine. Face à ce changement épidémiologique, les gouvernements s’avèrent parfois réticents à agir car moins préparés donc la réponse ne peut être que collective.
Sur le diabète justement, des études évoquent un risque de pénurie d’insuline pour les prochaines années en Afrique. En tant que l’un des premiers fournisseurs mondiaux, comment comptez-vous répondre à cela?
Encore une fois, la question du diabète doit être traitée de manière holistique et pas juste au niveau du produit. La question n’est plus combien de personnes ont besoin d’insuline mais combien ont besoin de gérer leur diabète : c’est ainsi que l’on rendra les soins accessibles au patient. Passer d’une compagnie pharmaceutique à un fournisseur de solutions médicales globales… voilà notre ambition à l’horizon 2025-2030.
En mai dernier à Paris, vous aviez participé à Vivatech dans cette optique?
Nous regardons avec grand intérêt les implications de la digitalisation dans le domaine médical. Cette année encore, nous avons proposé 3 défis à l’Africatech : sur le diabète, sur les datas et sur l’accès aux soins dans les zones les plus reculées. Nous avons présélectionné 12 startups sur 222 candidats de 45 pays dont 22 en Afrique. Nous leur apportons un soutien sur le modèle économique, le réseau ou encore la logistique. Cela peut leur permettre de réaliser leur leaprog et c’est essentiel car chaque startup répond à un problème de santé concret.
Quelles sont ces opportunités permises par la digitalisation sur le continent?
Gardons en tête qu’en Afrique, le taux de pénétration du téléphone mobile est de 80% et 1/3 de la population a accès à une connexion internet… On peut faire de grandes choses pour améliorer la santé tant sur l’éducation des populations face aux risques que sur le dépistage via téléconsultation ou encore sur le suivi des traitements. On peut aussi utiliser le digital pour la formation et même au niveau du financement de la santé via des systèmes où l’argent déposé par un proche du patient est utilisé à des fins médicales, à l’instar de la startup Susu avec laquelle nous travaillons.
Qu’une entreprise privée puisse collecter autant de données sur leurs patients, cela pourrait soulever des inquiétudes...
Les données sont anonymisées. Si nous travaillons avec des fournisseurs de soins, ce sont eux qui détiennent les informations. Nous n’avons aucune donnée spécifique sur un patient mais des données consolidées.
On parle là de digitalisation, et donc de virtualité, mais sur le terrain se pose toujours le problème de l’accès aux médicaments…
Depuis 2017, nous avons renforcé notre partenariat avec Eurapharma, filiale de CFAO et leader de la distribution médicale sur le continent. Nous cherchons à mieux cartographier les besoins et suivre les flux pour offrir une couverture adéquate. Toutefois, la problématique du « dernier kilomètre» persiste. Certaines startups y ont répondu récemment par l'utilisation de drones pour atteindre des zones éloignées. C’est intéressant mais je reste sceptique sur la rentabilité d’une utilisation massive de cette technologie. Mieux vaut s'appuyer sur un écosystème avec des acteurs locaux. Une startup présente à Vivatech cette année, Yyeza Health, propose par exemple une livraison de médicaments par vélos en Afrique du Sud, un peu à la Uber.
Avec la multiplication des intermédiaires, ne risque-t-on pas une augmentation des coûts?
Au contraire ! La plupart de ces solutions diminuent le nombre d’intervenants, rendant le circuit plus direct et plus efficient.
Une production locale peut aussi réduire les coûts. Où en est Sanofi sur ce point ?
Nous produisons près de 70% de notre volume local au sein de nos 5 usines africaines, en plus de partenariats avec des fabricants locaux. Et l’an dernier, nous avons inauguré notre plus grande usine continentale à Sidi Abdallah, en Algérie. Avec cet investissement de 85 millions €, nous voulons à terme porter ce chiffre à 80%.
En Afrique, votre stratégie favorise les partenariats aux acquisitions ?
Notre portefeuille de médicaments évolue avec le temps, et cela nous conduit à ajuster notre stratégie en matière de production. Nous avons nos propres usines et nous travaillons également avec des sous-traitants. Nous cherchons au maximum à flexibiliser la production.
Une de vos priorités il y a quelques années était sur l’Afrique de l’Est… Qu’en est-il aujourd’hui?
Les pays de cette zone (Ethiopie, Kenya, Tanzanie et Ouganda) ont connu une croissance de l’ordre de 10% par an sur les 5 dernières années, qui devrait se poursuivre. Sur place, il existe déjà une surcapacité de production avec des fabricants locaux reconnus et performants. Nous optons donc pour des partenariats, avec des universités notamment, pour développer les compétences et les technologies… C’est une évolution de notre business model.
Quelle est d’ailleurs la politique RH de Sanofi sur place?
Sur le continent, 98% de nos 4000 employés sont africains. Et depuis mon arrivée il y a quatre ans, nous avons une bonne dynamique de recrutement en tant que numéro 1 en Afrique. La fuite des cerveaux reste un problème mais par notre taille et notre réputation, nous arrivons à attirer les talents et les garder.
Comment voyez-vous l’impact des récents accords de libre échange en Afrique type ?
À ce stade, il est trop tôt pour évaluer et les dirigeants veulent favoriser leur pays dans un continent hautement compétitif. Or, il faut réfléchir au système global, que les Etats apprennent des autres, notamment auprès de pays avec des systèmes de santé bien établis, comme l’Algérie. Sanofi a un rôle à jouer, pour transmettre les bonnes pratiques car l’état d’esprit est là.
Comment expliquez-vous vos résultats 2018 plus timides en Afrique, avec une croissance zone de +1,1% contre une croissance à deux chiffres auparavant?
C’est multifactoriel, entre la question des prix et certains désinvestissements. Mais avec un marché qui est attendu en croissance de 5% à 7% par an sur les 5 prochaines années, nos ambitions restent très optimistes : une croissance à la hauteur de celle du marché et surtout, de devenir le premier partenaire de santé de l’Afrique en proposant une approche globale pour améliorer l’accès à la santé.
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